L’hippopotame Sacré

L’hippopotame Sacré

aw bEE ni ce, mAlilinkimOgOw! aw bE hEErE la wa? maa k’o nOgOya an’ bEE ye! (amiina!)

(Salutations a tous les membres de mAliLink! Etes-vous en Paix? Dieu nous l’Accorde! (Amen!)

En Mars-Avril (1999), j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs de nos parents au mAli –femmes et hommes, petits et grands, fameux et moins fameux, riches et pauvres– pour de longues discussions. Je cherchais a approfondir mes opinions sur certaines questions economiques et socio-culturelles afin de mieux elaborer le programme d’intervention de la Commission Societe et Economie de l’Initiative mAliWatch. Encore plus que par le passe, j’ai ete amene a poser un regard tres inquisiteur sur le role de l’intelligentsia chez nous. Je deduis de l’experience que nous sommes, globalement, en train d’assassiner notre futur au mAli; sinon notre pays tout entier, l’Hippopotame Sacre lui-meme! Des faits recents etaient revelateurs, en effet!

D’abord, il est tres visible que les “instruits”, “gens de bureaux” et “demi-sel” –pour emprunter des expressions locales– operent selon une mentalite de predateurs, pour la plupart. Le reflexe de deconnexion par rapport aux valeurs socio-culturelles et aux realites du pays est tout aussi vif qu’au temps du regime militaire dictatorial. On s’est approprie les nouveaux espaces et modes d’expression democratiques plus pour du bluff politique, ou de la jouissance personnelle, que pour un travail de developpement economique reel.

A ce titre, j’ai trouve en les syndicats des differents ordres d’enseignement et les leaders des groupes d’etudiants de “beaux exemples”. Voulant m’informer des options qu’ils preconisent pour en finir avec la derive de l’Ecole mAlienne, je n’ai recolte, en fait, que “la solution” suivante: L’Etat doit payer plus de primes, plus de salaires et plus de bourses. Les “instruits” veulent du franc CFA; l’Etat est la vache laitiere qui doit donner jusqu’au sang, et le mAli n’existe pas au dela de la classe des “gens de bureaux” ou de ceux qui pretendent en faire partie (scolaires, partants volontaires, diplomes sans emploi, retraites).

En leur demandant ce qu’ils offrent en contrepartie a l’Etat, mes interlocuteurs ont justifie leurs limites par les mauvaises conditions de travail et d’etude. Aucun de ces maitres et professeurs-syndicalistes n’avait ecrit ou publie un article au cours des cinq dernieres annees. Aucun des scolaires n’avait obtenu 12/20 de moyenne generale, y compris le plus age, qui est encore lyceen a 27 ans. L’analyse des eleves et etudiants est que les diplomes ne servent pas a grand’ chose au mAli; que le nepotisme est ce qui marche; que la bourse est meilleure a l’incertitude d’un revenu hypothetique, et mediocre de toutes les facons.

Cote Etat, j’ai trouve que les initiatives sont multiples, bien pensees (sur papier) et que l’intention de changement est reelle. Les responsables administratifs connaissent les problemes a fond, surtout dans les regions. Mais, ils ne sont pas nombreux ceux qui proposent des solutions, malgre qu’il y ait des approches astucieuses en cours, ou meme audacieuses ici et la. Les documents des differents programmes decennaux sont remarquables, a ce titre.

La ou le bat blesse, c’est dans le manque de strategie d’ensemble et surtout la confiscation systematique de l’information politique et administrative, meme la plus anodine. Par exemple, sur mille lettres (tres simples) expediees ou deposees aupres de notre administration par mAliWatch en un an (1998-99), seules quarante-huit ont ete repondues, don’t onze de facon verbale. Certains services publics n’auraient meme pas de budget-courrier, a ce qu’on m’a dit. C’est le planton ou rien!

“Les services publics fonctionnent comme des anes debrides; chacun tire dans une direction et pas necessairement sa propre charrette”, m’a dit un industriel de la place. En effet, des etudes, evaluations et rapports solides dorment partout en quantites incroyables et eparses, loges qu’ils sont dans des tiroirs ou des armoires croulants. On les decouvre seulement au hasard des visites dans les services. Ou bien, ils sont entreposes dans des bureaux dont on ne rencontre, par exemple, pas l’occupant apres onze coups de fil et quatre messages ecrits laisses au secretariat en une semaine — je parle d’experience! Cet etat des choses conduit a des efforts inouis de programmation pour achever tres peu de resultats, a des couts de gestion inutilement eleves, a une forte perte de temps, d’efficacite et de productivite, et pire, a une demoralisation collective et criminelle.

Au mAli, l’Etat est le premier ennemi de la/sa reussite; il tient les populations soit dans un black-out inconsidere, soit dans une cacophonie brutale. L’ information utile et veritable se perd ainsi. Elle n’est presque jamais acquise et interiorisee par les citoyennes et citoyens; il faut alors continuellement “reinventer la roue”. De plus, il faudrait vite admettre et corriger la defaillance economique structurelle de taille qu’est la grille des salaires. Lorsque le travail public ne nourrit pas son homme, que les banques preferent jouer aux usurieres a l’endroit du secteur prive, que le financement officiel local est presqu’ inexistant, il faut alors reconnaitre que l’Etat encourage pratiquement le crime “bureaucratise”. Je suis alle a trois marches avec un ami medecin pour comparer les prix; 45% de son salaire sont alles a l’achat d’un sac de riz de cent kg. Il est chef de famille, a la mAlienne.

Le troisieme niveau de decision, qui contribue a l’assassinat de notre Hippopotame Sacre, est celui de tous ces “experts d’une saison”, “consultants”, “specialistes de l’Afrique” et autres “visiteurs au gros yeux”. Ils circulent d’hotels a ministeres, regardent beaucoup, mais ils ne voient presque rien et comprennent tout de travers, parce-qu’ equipes de modeles ou standards non-issus du terrain mAlien. Beaucoup transitent par notre pays pour se faire la poche surtout –certains ont l’honnetete de le dire– et, accessoirement, pour se piquer a un peu d’exotisme. Au Relax, j’en ai rencontre un qui proposait la realisation d’un CD-ROM a un de nos ministeres, a trois-cents millions de FCFA! (Il a eu l’audace de vouloir me “co-opter”, apres. J’ai pris ses coordonnees; puis, j’ai appele trente-huit fois le ministere en question pour pouvoir donner mon point de vue au ministre meme).

Une semaine a mowti et a Sanga, les voila qui ont ete “en Afrique”, connaissent les solutions a tous les problemes existant “en Afrique Noire”, publient des series d’articles sur les “tribus des bamananw qui marchent a reculons”, donnent des interviews et conferences, ecrivent des livres sinistres sur “the dark continent”, creent des sites-internet avec photos miserabilistes, ou pire se retrouvent a enseigner des “cours d’economie du developpement” dans les universites d’Europe, d’Amerique ou d’ Asie. Ce sont eux qui, en general, sont les personnes-ressources et evaluateurs des organismes de financement, des groupes de recherches, des lobbies, des institutions regionales ou de presses specialisees. En deux ans de sejour au mAli, mes cinq amis du Peace Corps ont surement fait plus pour notre pays que la totalite de ces “experts”-la ayant, par exemple, transite par l’Hotel de l’Amitie depuis l’Independance. Pourtant, on ne saurait negliger leur impact nefaste. N’est-ce pas eux qui classent le mAli comme “humainement sous-developpe” et poussent le reste du monde a tenir ce discours absurde, meme si les rapports humains sont beaucoup plus sains chez nous que chez eux? Oui, le nombre de cabines telephoniques par ville est plus un meilleur indicateur du developpement humain d’un pays que le nombre de vieilles personnes totalement integrees a la vie familiale; n’est-ce pas?

Ensuite, il y a le cas de toutes nos generations de “Maliens”, qui ruine, on ne peut plus, les perspectives de reussite collective dans notre pays. Exclus apres des echecs au CEP, au DEF ou au BAC, mais instruits des modeles de vie CMLN et UDPM, ces “Maliens” sont la grande masse des “francophones” chez nous. Le francais, comme langue officielle, est leur atout et aussi leur premier complice en tous crimes. Eux sont plus ou moins familiers avec cet outil de travail de l’Etat; les autres citoyens pas! bAmAkOO est leur paradis; c’est le theatre de toutes les magouilles, de toutes les manipulations et de toutes les alliances contre-nature.

On baragouine du francais; on est “instruit”; on est “eduque” et donc, on peut abuser des mAliens au grand jour! Ainsi, on peut falsifier, par exemple, les documents de pensions de veuves analphabetes (en francais, mais pas en bamanankan ou en arabe) pour se faire de l’argent. On se fait transitaire, controleur, ou homme d’affaires pour depouiller des commercants de leurs marchandises a la gare RCFM. On se fait secretaire de mairie, tente d’exproprier un resident de la Commune VI de son terrain d’habitation, puis, on vend et revend la meme parcelle a huit personnes. On imite cachets et signatures de responsables officiels et on fait payer des taxes imaginaires a des villageois autour de kUlUkOrO. On se fait sage-femme a koro apres une annee a l’ENMP et on demande des paiements en bijoux d’or pour des “interventions d’urgence”. Gendarme ou policier, on fait payer mille a cinq mille FCFA aux taxis et camions du bElEdugu a la sortie de kAtI. La liste n’en finit pas! C’est le culte du gain facile; cet heritage est simplement desastreux sur tous les plans!

Enfin, le cercle des assassins de l’Hippopotame Sacre le plus a blamer, j’ai trouve, est le notre. mAliens et “Maliens” de naissance ou d’adoption, nous sommes! En formation ou formes a toutes sortes de disciplines, nous sommes! Habitues a des modes de gestion de ressources, a des schemas d’organisation et de production plus techniques, nous sommes! Elements de l’intelligentsia/elite mAlienne, ou de ce qui en tient lieu –pour le meilleur et pour le pire– nous sommes! Capables de porter le discours, la critique, la programmation, l’execution, l’evaluation et l’information sur le terrain aupres de nos communautes, en meme temps que sur tous les fora nationaux et internationaux, nous sommes! Conscients du retard economique de notre pays, nous sommes! Au courant des enjeux de la globalisation et de la revolution informatique, nous sommes!

Alors, comment pouvons-nous ne pas apprecier l’urgence que c’est, pour nous, d’apprendre a connaitre vraiment le terrain mAlien et a nous y investir? Qu’est-ce qui justifie cette sorte d’indifference, de fatalisme, d’ignorance ou de negativisme, qui fait que nous laissons a d’autres personnes — finalement moins competentes et moins concernees– le choix d’assurer ou non la survie de notre Hippopotame Sacre? Nous sommes coupables de laissez-aller, et c’est inacceptable pour qui a vecu/visite le mAli (au moins depuis 1996). Le pays bouge et fait malgre tout des progres indeniables. L’Hippopotame Sacre tente de se dresser sur ses pattes et de courir au jolibaa nourricier a nouveau. C’est le moment d’aider a panser ses plaies et non de l’insulter dans sa dignite, comme nous le faisons.

Vous voulez un exemple d’insulte? C’etait la serie de reponses approximatives ou erronees qui circulait recemment sur mAliLink, quant a la signification des couleurs de notre drapeau. Il apparait que nous ne savons pas cette toute premiere indication de civisme et de patriotisme; alors-que nos Peres de l’Independance vivent encore et peuvent nous renseigner. Une lettre, un coup de fil, un fax, un tour aux archives ou a la bibliotheque, un email, et l’intellectuel(le) en chacun(e) de nous honorerait la memoire de tous nos Ancetres et les sacrifices consentis pour notre education. Mais, nous nous contentons de demi-reponses, comme des analphabetes desempares! Ne sommes-nous pas en train de nous damner ainsi?

yAfAnyini bE nI kAn, wa k’an’ bEn!

(Mes excuses pour toute offense eventuelle, et a plus tard!)

ibA njayi
pour la Coordination de l’Initiative mAliWatch